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Il est plus facile de dresser un tableau noir de la Profession au sortir de la période fiscale quand les experts-comptables sont fatigués.
La tentation existe, elle s’opère toujours en deux temps. Dès l’été : votre Profession est menacée, vous devez vous organiser – en automne : nous avons les solutions. La charnière entre les deux saisons s’opère au moment de la grande manifestation nationale : le congrès de l’Ordre.
Si le trait est volontairement caricaturé, les partenaires et fournisseurs de la Profession se reconnaîtront sans doute. Nos actions commerciales sont toutes calées sur le même rythme : celui de la période fiscale. RCA n’échappe pas à cette règle et nous y contribuons.
Les experts-comptables acceptent « à leur manière » ce jeu et se laissent volontairement séduire, à la condition d’être tranquilles durant les mois de « forte production ». Il en est ainsi depuis très longtemps !
La Profession évolue donc dans un écosystème et même si cette saisonnalité est commercialement difficile, chacun s’y retrouve car les deux parties, experts-comptables et fournisseurs, se vouent une grande fidélité.
Pourtant l’été 2009 risque bien de marquer un tournant dans ces habitudes acquises. Non pas que l’une des parties soit en froid avec l’autre, mais la Profession mesure, pour une partie d’entre-elle, qu’il devient de plus en plus difficile de se poser (pour prendre du recul et d’initier des changements) sur les seuls mois de Septembre, d’Octobre et de Novembre.
Un seul automne pour s’adapter aux mutations du secteur, ne suffit plus…
Certains cabinets plus structurés l’ont compris et se dotent de moyens pour que la « réflexion perdure » pendant que la machine tourne à plein régime. Il est vrai que la dernière période fiscale fut un peu spéciale : des délais déclaratifs à rallonge sur fond de crise. Mais ces deux phénomènes expliquent-ils à eux seuls les tensions qui pèsent sur les cabinets ? Nous ne le pensons pas.
La Profession s’achemine inexorablement vers une logique de marché. Ce n’est pas nouveau, on en parle depuis les années 90. Mais comme tout phénomène de fond, il faut bien qu’à un moment donné les effets commencent à se faire ressentir.
Le signe le plus prégnant d’une « logique de marché » est pourtant si simple ; nous avons écrit sur le sujet depuis plusieurs années. Il s’agit d’une recomposition globale de l’OFFRE du marché par les acteurs en présence sur les 4 médianes que sont : le volume (low-cost et non pas low-value… les cabinets font souvent l’amalgame), la différenciation (en l’occurrence une offre conseil plutôt haut de gamme pour le segment de client qui peut le payer), la spécialisation technique (ex : gestion de patrimoine, entreprises innovantes…) ou la spécialisation sectorielle (pharmacie, immobilier, start-up, etc.).
Evidemment, la position du cabinet n’est pas collée à une médiane, et dans ce registre toutes les compositions sont bien sûr possibles. D’ailleurs, les très gros cabinets essaient de plus en plus d’occuper le terrain avec des offres différenciées.
Le souci pour un cabinet qui n’a pas « repensé son offre de services » et qui se cantonne dans la production des « produits légaux », c’est de ne jamais vraiment être compétitif quelque soit le segment de marché, et de toujours se heurter à meilleur que lui sur chaque segment… à moins qu’il ne baisse ses prix au détriment de sa marge et qu’il intensifie ses heures travaillées à facturation égale.
La « crise » nous montre d’ailleurs que certains cabinets peuvent souffrir de « ressources temps », en les poussant en zone rouge.
Rappelons au passage, contrairement à ce que certains pensent, que la demande ne cesse de croître (même si certains clients tirent les prix) et que l’enjeu se situe essentiellement au niveau de l’OFFRE.
Ce principe nous a été brillamment rappelé par Henri de Bodinat, ex-patron de SONY Music et du Club Méditerranée, auteur de nombreux best-sellers marketing, lors de son intervention au sein du Club Espace Innovation, à l’occasion de notre dernière réunion. Et de rappeler comment l’hôtellerie traditionnelle s’était réorganisée, entraînant la disparition de l’offre « médiane » au profit d’une offre mieux ciblée (affaires, haut de gamme, silence, gastronomique, low-cost…) s’adressant à des besoins différents.
Evidemment, plusieurs facteurs jouent contre ce phénomène dans la Profession en le freinant constamment, ils sont :
- La grande majorité des cabinets ont une offre dite médiane – si la concurrence commence à exister sur des segments, elle reste diluée sur la masse des 10.000 cabinets,
- L’Ordre joue son rôle historique de régulateur (et c’est tant mieux) en retardant certaines décisions qui pourraient être de nature à accélérer cette logique de marché (composition du capital des cabinets, maintien des seuils [expertise, CAC], monopole de la tenue…)
- Une certaine inertie qui fait que les organisateurs des offres ont du mal à insuffler leurs « produits » jusqu’au niveau le plus bas, c'est-à-dire celui du terrain, alors même que le client est potentiellement demandeur (surtout vrai pour les gros cabinets).
Si cette lenteur est de nature à rassurer les experts-comptables proches de la transmission (car il y a très peu de chances qu’ils voient leur capital fondre de moitié dans les 5 ans à venir), elle ne doit pas hypnotiser les plus jeunes générations qui doivent faire preuve de vigilance. Or cette dernière nécessite de prendre le temps d’analyser son marché.
Alors pourquoi l’été 2009, plutôt que les autres années ?
Il ne s’agit nullement de jouer les prédicateurs, encore moins d’annoncer un scoop ou un big-bang, personne n’aurait à y gagner. D’ailleurs, l’imperméabilité de beaucoup de professionnels est telle qu’ils n’y croient plus, tel le petit Pierre et le Loup.
En revanche, de nombreux signaux nous laissent penser que la Profession est à un point d’inflexion (embranchement). La notion de "point d'inflexion stratégique" représente ces moments de métamorphose, où ce qui était vrai, avant, ne l'est plus forcément. Et où, donc, il convient de changer de stratégie pour se développer (définition de Andrew Grove, l'un des fondateurs d'Intel).
Tout l'enjeu, pour les entrepreneurs, consiste donc à anticiper ce type d'événements.
Nous y voilà. Ce qui était vrai jusqu’à présent c’est que la période d’automne suffisait à elle seule pour améliorer son organisation afin de « rester dans la course » : migrations informatiques, formation des collaborateurs, lancement de produits conseil, etc. Tel un navigateur qui rentre au port pour réparer les pansements d’une traversée éprouvante et s’équiper des dernières technologies pour faire encore mieux la prochaine fois. Mais en réalité, la route était toute tracée même si ça n’a jamais été un « long fleuve tranquille ».
Dans un contexte économique de logique de marché, donc d’entreprise, les possibilités deviennent multiples ce qui complexifie grandement le plan de route (la stratégie). Il faut composer avec la concurrence, les nouvelles demandes des clients, la gestion des embauches et les plans de carrière et surtout affiner constamment sa démarche marketing.
Cela est d’autant plus difficile que les organisateurs de la course contraignent les participants en édictant constamment de nouvelles règles (réglementation, fiscalité, nouvelles lois…).
Il y a autant d’opportunités qu’avant, si ce n’est plus, mais il faut désormais choisir SA COURSE et se positionner. Vue de l’extérieur (côté client), la Profession ne risque pas de disparaître, mais c’est de l’intérieur que les cartes seront redistribuées ; cela a bien commencé. La ressource « temps » va donner à certains cabinets la possibilité d’avancer plus vite.
A ce titre, nous vous invitons à prendre connaissance de la dernière étude sur la Profession d’expertise comptable réalisée par le spécialiste français de l’observation sectorielle, la société XERFI-PRECEPTA ; tout y est dit. Nous inviterons son auteur, Ludovic MELOT dans nos colonnes dès la rentrée.
Dans un même registre, le dernier éditorial de Marie-Laure PARTENAY dans le magazine N°316 « La Profession Comptable » met parfaitement en lumière ce phénomène.
Enfin, notre position dans la Profession (observateur et fournisseur) nous permet de constater que des cabinets de toute taille (…souvent des gros), ainsi que de nouveaux entrants, se préparent très activement dans ce sens même si cela n’est pas encore perceptible sur le « terrain ». C’est une évidence.
Les choses sont simples sur le papier mais très complexes dans la réalité. Les cabinets n’ont pas le choix, voici leurs 4 chantiers :
Chantier N°1 : optimiser l’entièreté de leur processus de production pour vendre moins cher à marge égale si le marché les y oblige (ce n’est pas certain, mais autant s’y préparer…),
Chantier N°2 : repenser leur offre de services en adaptant leurs prestations aux besoins du marché (à minima, segmenter son offre en 4 marchés : créateur, TPE, entreprise en croissance et PME avec des produits conseil formalisés en phase avec leur capacité contributive),
Chantier N°3 : définir un plan de recrutement pour attirer et fidéliser les jeunes talents ; les « productifs » n’ont pas intérêt à travailler comme « des fous » là où ils peuvent gagner la même rémunération dans des conditions plus agréables. Les « ambitieux » qui ont du potentiel sont prêts à faire tous les efforts du monde, mais il faut leur donner un plan de carrière, et c’est logique. Il faut par exemple se rapprocher des écoles, savoir se vendre auprès des jeunes.
Chantier N°4 : entamer un plan de communication pour orchestrer le développement du cabinet, car les chantiers 1, 2 et 3 ne sont pas envisageables sans une démarche d’innovation et de développement (cercle vertueux).
Malheureusement, les cabinets sont contraints de mettre les 4 chantiers en route. Par exemple, les clients ne sont pas sensibles au chantier N°1 (sauf au prix bien sûr), c’est le problème du cabinet (pas le leur) - La différence se fera donc sur le chantier N°2, et celui-ci ne peut fonctionner sans la mise en marche du N°3 (ressource vive)… le 4 viendra alors plus naturellement.
Vu l’ampleur du travail, l’automne n’y suffira pas… et une « mise en jachère » durant 9 mois n’est désormais plus possible (en tout cas très risquée).
Les partenaires et les fournisseurs de la Profession peuvent donc se réjouir. Ils vont être mis à contribution tout au long de l’année !
Mais parmi l’ensemble de ceux-ci, l’expert-comptable risque de chercher désespérément celui qui pourra lui vendre du TEMPS.
Experts-comptables et fournisseurs ont tout le mois d’août pour y réfléchir… à moins qu’ils ne décident de se reposer enfin… C’est tout le mal que nous leur souhaitons !
Alors, bonnes vacances à tous et rendez-vous en Septembre pour avancer sur la Réflexion.
Jérôme CLARYSSE
Président de RCA
Président d’Espace Innovation
PS : les membres du Club Espace Innovation se réunissent du mercredi 4 au samedi 7 novembre au Maroc pour suivre une méthode leur permettant de définir leur offre de services en fonction de leurs « meilleurs attributs (points forts) » (Chantier N°2).
J'ai lu avec attention votre article qui est un constat très complet de la profession. Ma première réaction a été de me dire tient cela fait 10 ans que l'on parle de changement dans la profession et que rien ne bouge.
Je pense pour ma part, côtoyant les cabinets au quotidien et étant un ancien de cabinet, que ce point d'inflexion ne se produira pas aussi rapidement que vous le dites. Je reste intimement persuadé qu'aujourd'hui la première réponse des cabinets à la crise et à l'évolution des besoins des clients n'est pas forcément de se diversifier mais bien d'optimiser l'"appareil productif" en rationalisant les coûts (informatisation, meilleure organisation du travail, etc...). Il ne faut pas toujours se fier aux déclarations d'intention et aux différents outils de communication mise en place par les cabinets.
Pourquoi cette réticence à la diversification ? La réponse est simple : il n'y a pas de véritable menace sur le marché alors pourquoi investir dans un domaine plus risqué alors que l'optimisation sur le métier de base n'est pas encore complète ? Je pense que c'est une stratégie très conservatrice, qui est pleine de bon sens, certes, mais trop court termiste.
Le seul signal qui révolutionnera véritablement la profession sera la libéralisation de la profession (qui est en marche) notamment dans le domaine de l'expertise où à n'en pas douter les professions bancaires et financières s'engouffreront sans retenue notamment dans la tenue.
Rédigé par : Arnaud Eichholtzer | 23 juil 2009 à 09:41
Les 4 chantiers dont vous parlez , apparaissent incontournables pour la majorité des cabinets d'une certaine taille , que l'évolution annoncée survienne rapidement ou non.Ils résument bien les efforts que nous devons et pouvons faire . Cela reste un beau challenge à relever.
Rédigé par : Thierry Guillard | 23 juil 2009 à 10:51
Tel un navigateur, l’expert comptable devra se constituer un équipage performant et lors de la traversée garder un œil sur les indicateurs de route pour maîtriser sa rentabilité et vérifier en permanence son cap.
Rédigé par : C. Cyril | 15 nov 2009 à 05:25