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Adopté par le Parlement, l’article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a profondément modifié les stratégies de rémunération pour les dirigeants de Société d’Exercice Libéral.
Les experts-comptables ont tout de suite perçu l’impact du nouveau dispositif sur la détermination du revenu disponible et sont parvenus, grâce à la mobilisation de leur profession, et notamment de Jean-Luc CHEVRY, Président de la CAVEC, à en limiter la portée.
Pour autant, les conséquences collatérales de ce changement n’ont manifestement pas été anticipées par le Ministère des Affaires Sociales, pourtant à l’origine du changement.
Identifions ces différents points auxquels vont être confronté les cabinets d'expertise comptable dans les prochains mois.
1 – Les problèmes techniques posés par l'article 22
1 – 1 Les difficultés déclaratives posées par l’assujettissement des dividendes.
Au-delà des difficultés de fonds, le nouveau dispositif pose de réels problèmes pratiques en termes de déclaration.
Il va rendre beaucoup plus complexe la gestion administrative des entrepreneurs et de leurs experts-comptables.
Les points suivants peuvent être identifiés :
1 – 11 Nature des dividendes pris en compte et date de leur déclaration
A – Les dates de déclaration
Pour illustrer concrètement les difficultés, prenons l’exemple d’une SEL clôturant au 31 décembre.
Rappelons au préalable que les rémunérations de gérance de l’exercice sont déclarées auprès du RSI dans le cadre de la DCR pour le 1er mai de l’exercice suivant (soit le 1er mai 2009 pour l’exercice 2008).
Par ailleurs, la société a jusqu’au 30 juin de l’exercice suivant (30 juin 2009) pour voter les dividendes. Dans la pratique, la tenue des assemblées se déroule le plus souvent à la fin juin. La société dispose ensuite d’un délai de 9 mois pour les mettre en paiement (soit le 30 septembre 2009).
En outre, le problème peut être plus complexe si la société fait le choix d’une distribution fractionnée. Dans ce cas, selon les dates de clôture des exercices sociaux, les distributions peuvent avoir lieu sur deux années civiles différentes (par exemple, pour une société clôturant le 30 juin 200N, une partie de la distribution peut avoir lieu le 31 décembre 200N et une autre le 31 mars 200N+1).
B – Les problèmes qui se posent
On ne sait pas si l’on doit retenir comme fait générateur du paiement de l’impôt sur le revenu l’année à laquelle se rapportent les dividendes, la date de l’assemblée générale qui décide du paiement des dividendes ou bien encore la date de mise en paiement des dividendes. En outre, les décalages par rapport à la date de déclaration des revenus vont entrainer des nouvelles règles d’ajustement des cotisations, alors même que le décalage entre la perception du revenu et sa déclaration constitue l’une des principales difficultés administratives pour les TNS.
1 – 12 Calcul de l’abattement des 10%
La règle issue de la LFSS pour 2009 prévoit d’appliquer un abattement de 10% sur le capital :
• quelle définition du capital est retenue ? (apport en numéraires, en industrie)
• quel traitement pour les réserves légales
De plus, comment le compte courant doit-il être pris en compte : pour 10% ou 100% de sa valeur ?
Pour quelle valeur doit-il être retenu :
• à la date de clôture de l’exercice,
• à la date du versement des dividendes,
• une moyenne annuelle du compte courant.
1 – 13 Détermination de l’assiette
Est-ce que les dividendes intégrés dans l’assiette soumise à charges sociales bénéficient ou non de l’abattement des 10% (ou des frais réels) ?
Au niveau de l’impôt sur le revenu, ces dividendes bénéficient d’un abattement 40%. En est-il de même au niveau du calcul des cotisations sociales ? Ces dividendes bénéficient-ils également, au niveau de l’assiette sociale, de l’abattement complémentaire plafonné (3 050 € pour un couple) ?
Comment sont traitées les charges sociales payées au titre des dividendes. Comment sont-elles déduites ?
1 – 2 Impacts sur les contrats Madelin
Les conséquences du nouveau dispositif interviennent principalement à deux niveaux.
1 – 21 Le revenu pris en compte pour la détermination du disponible Madelin.
Rappelons que les professionnels se trouvent dans une situation pour le moins floue dès lors que l’on aborde la question de l’assiette du revenu à prendre en compte comme base de calcul du disponible Madelin pour le gérant majoritaire de SARL.
En effet, en l’absence de texte précis de la part de l’Administration Fiscale, des interprétations diverses ont vu le jour, et ce particulièrement avec la fin de la période transitoire (même si cette dernière vient d’être reportée de 2 ans). Certains considèrent qu’il faut partir du bénéfice social alors que d’autres estiment que la référence est résultat de la société. Dans la pratique des cabinets d’expertise comptable, c’est la rémunération de gérance qui est retenue (dite « article 62 »).
Dans la pratique, la question ne se pose pas si le montant de la cotisation retraite est inférieur à 10% du plafond annuel de sécurité sociale. Mais l’imprécision qui existe au niveau de l’assiette ne fait qu’apporter un élément inutile de confusion que les pouvoirs publics doivent trancher d’autant plus que la nouvelle réglementation devrait en toute logique conduire à dissocier la situation des dirigeants de SEL de ceux de SARL.
Si l’interprétation classique de la rémunération de gérance s’impose, il faudrait alors, pour les dirigeants de SEL, additionner les dividendes à la rémunération pour déterminer la base de calcul du disponible.
Mais cette solution aurait pour effet d’augmenter l’avantage fiscal pour des assurés dont les droits à retraite vont progresser en raison de la majoration de leurs cotisations ; alors même que la loi Madelin a été faite pour compenser la situation des TNS dont les retraites sont plus faibles que celles des salariés….
1 – 22 La quote-part des cotisations Madelin déductibles pour les contrats dits « gérants majoritaire ».
Dès la mise en place de la loi Madelin, les assureurs ont su proposer une solution attractive sur les plans technique et marketing en proposant des contrats dits « gérant majoritaire». La principale caractéristique de ces contrats est qu’ils prennent le plus souvent comme référence pour les cotisations le revenu global du gérant (avec fixation d’une base exprimée en fraction du plafond annuel de sécurité sociale).
Dans la pratique, la question se pose de savoir s’il faut considérer les cotisations Madelin versées sur la fraction des dividendes comme fiscalement déductibles. La plupart des professionnels ne se posent pas la question et déduisent l’intégralité des cotisations. A l’inverse, certains assureurs vont jusqu’à émettre des attestations dissociant les cotisations selon qu’elles sont calculées par référence à la rémunération de gérance ou aux dividendes. En toute logique, il va leur falloir désormais distinguer selon que le dirigeant exerce dans le cadre d’une SEL ou non.
Là encore, les pouvoirs publics doivent dire clairement le droit et simplifier une situation dont la complexité est renforcée par la LFSS 2009.
1 – 3 Le problème des limites de revenus pour le cumul emploi retraite
Depuis la LFSS 2009, l’analyse du cumul emploi retraite s’est à la fois assouplie et complexifiée.
En effet, dès lors que l’assuré bénéficie du taux plein au titre de sa retraite de base, il peut poursuivre son activité sans que la limitation ne s’applique en termes de revenus.
Par contre, dès lors que l’assuré ne dispose pas du taux plein, s’applique une limite de revenus :
• ½ Plafond si l’activité poursuivie relève du RSI (ou 1 Plafond si ZFU ou ZRR),
• 1 Plafond si l’activité est libérale.
Dans ce dernier cas, va se poser la question de l’assiette prise en compte. En toute logique, on comprendrait mal que ne soit pas retenue pour les libéraux exerçant en SEL l’addition des dividendes et de la rémunération.
Mais alors, la mesure aurait pour effet de limiter encore l’incitation au cumul emploi retraite, alors même que la LFSS pour 2009 a adopté des mesures pour le rendre plus aisé.
1 – 4 Plus largement, une discrimination forte selon le statut juridique.
De manière plus pernicieuse, le nouveau dispositif instaure des règles discriminatoires entre professionnels qui cotisent auprès du même régime social mais exercent dans un cadre juridique différent.
En effet, certaines professions libérales ont la faculté d’exercer en SEL ou en SARL. Cotisant au sein de la même caisse, ces professionnels ne vont pas acquitter leurs cotisations obligatoires sur la même base.
Cette situation qui n’est vraiment pas sérieuse va entraîner de toute évidence un contentieux reposant sur le principe de non discrimination.
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Comme nous le voyons, le nouveau dispositif pose sur le plan de la protection sociale – sans préjuger des aspects juridiques et fiscaux – une multitude de problèmes qui n’ont pas été anticipés.
Sauf à revoir la rédaction de l'article 22 à l'occasion d'un prochain débat au Parlement, les Pouvoirs Publics vont devoir trouver des solutions techniques nécessairement complexes et pas nécessairement équitables aux problèmes soulevés dans cette note.
2 – Les solutions concrètes à mettre en œuvre pour régler durablement le problème posé
Les solutions proposées sont d'importance variable. Elles peuvent être instaurées rapidement et régler dans l'urgence les problèmes que nous venons d'évoquer.
2 – 1 Réécriture de l’article 22
Il convient sans plus attendre de repenser sereinement la rédaction de l'article 22.
Pour cela, il faut non pas stigmatiser la seule distribution de dividendes mais créer un dispositif « anti abus » qui ne se déclenche que si le dirigeant atteint certains seuils.
Une proposition de rédaction pourrait être la suivante :
AMENDEMENT « Clause anti-abus » Modification de l’article 22 de la Loi de Financement de Sécurité Sociale Rédiger ainsi l’article 22 : “Lorsque l’activité libérale est exercée dans le cadre d’une société d’exercice libéral soumise à l’impôt sur les sociétés, constituée en application de la loi n° 90-1258 modifiée du 31 décembre 1990, et que le revenu d’activité du dirigeant, déterminé par référence à celui retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu, ajouté à la quote-part du résultat fiscal de la société d’exercice libéral revenant à son dirigeant, à son conjoint ou au partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou à leurs enfants mineurs non émancipés, est supérieur à 100 000 euros par an, alors la base du calcul des cotisations sociales dues par le dirigeant doit être au moins égale à 20% de l’ensemble de ces montants.
EXPOSE DES MOTIFS Chercher à éviter l’évasion de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants exerçant en sociétés d’exercice libéral en chargeant socialement les dividendes engendre des désordres juridiques et comptables et des ruptures d’égalité entre différentes catégories d’actionnaires et de formes de sociétés. Cela est par ailleurs complexe à mettre en œuvre, puisque les déclarations faisant apparaître les dividendes ne sont transmises aux administrations concernées que deux ans après la fin de l’exercice comptable. La solution proposée dans le présent amendement tend à limiter l’optimisation fiscale des travailleurs indépendants exerçant en SEL, en rendant obligatoire une assiette d’au moins 20% du revenu du dirigeant pour le calcul de ses cotisations sociales. Il est proposé un seuil de 100 000 € de revenus annuels pour la mise en œuvre de ces dispositions et de préciser par décret le détail de leurs conditions de mise en œuvre. |
Bien entendu, les seuils peuvent être débattus et les modalités discutées.
L'essentiel est d'instaurer un dispositif qui limite les abus inacceptables mais qui ne touche pas à l'économie générale du dispositif.
2 – 2 Offrir le choix pour les dirigeants de SAS entre le statut de salarié et celui de TNS
Cette solution est moins radicale que celle préconisée au point suivant mais elle mérite de limiter rapidement les recherches d’optimisations ayant pour effet de déséquilibrer des effectifs cotisants des caisses de professions libérales.
Si le législateur a fait le choix il y a quelques années de n'autoriser l'accès des dirigeants de SAS au seul statut de salarié, c'était pour régler un problème technique qui n'existe plus à ce jour.
En effet, avant 2004, le fait de finir sa carrière en qualité de TNS se traduisait, en cas de départ avant 65 ans, par l'application d'une décote pouvant aller jusqu'à 22 % au titre des droits acquis en qualité de salarié.
C'est pour éviter que les dirigeants de SAS et particulièrement de SASU ne soient visés par cet inconvénient que le législateur avait exclu le statut de TNS pour cette forme juridique.
Or, la mesure incriminée a été supprimée par les partenaires sociaux gérant les régimes complémentaires Arrco et Agirc (Accord du 13 novembre 2003).
Par contre, le statut social salarié constitue aujourd'hui une vraie contrainte pour les dirigeants de SAS, alors que justement cette forme très souple de société permet de choisir librement la plupart des composantes juridiques de l'entreprise.
En ouvrant les SAS au statut de TNS, cela mettrait en cohérence le choix du statut social avec les autres paramètres.
Cela permettrait surtout d'annuler les effets pervers pour les caisses professions libérales d'un transfert vers la SAS, les libéraux pouvant opter vers ce régime en conservant le statut TNS.
3 – Une étape importante : la position que va adopter le RSI
De manière plus pernicieuse, le nouveau dispositif instaure des règles discriminatoires entre professionnels qui cotisent auprès du même régime social mais exercent dans un cadre juridique différent.
En effet, certaines professions libérales ont la faculté d’exercer en SEL ou en SARL. Cotisant au sein de la même caisse, ces professionnels ne vont pas acquitter leurs cotisations obligatoires sur la même base.
Cette situation qui n’est vraiment pas sérieuse et va entraîner de toute évidence un contentieux reposant sur le principe de non discrimination.
Mais au-delà, cette distorsion inquiétante des situations s’inscrit dans une démarche plus large. L’illustration la plus récente que l’on peut en donner est la mise en place, toujours par la LFSS 2009, d’un nouveau dispositif de rachats de trimestres très favorable au profit des commerçants et artisans exerçant en entreprise individuelle. Le fait que les gérants majoritaires de SARL en soient exclus signifie qu’ils n’ont pas accès aux mêmes avantages que les autres ressortissants du RSI, alors même qu’ils acquittent des cotisations fixées sur les mêmes bases (particulièrement pour ceux qui ne procèdent pas à des distributions de dividendes).
Cette situation offre là aussi le flanc à la critique, outre le fait qu’elle rend plus touffue une réglementation déjà des plus complexes.
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Comme nous le voyons, le nouveau dispositif pose sur le plan de la protection sociale – sans préjuger des aspects juridiques et fiscaux – une multitude de problèmes qui n’ont pas été anticipés.
Il ne reste plus à espérer que les Pouvoirs Publics retrouvent un peu de sagesse en réformant ce dispositif ou à tout le moins en clarifiant les différents points qui ont été relevés.
Toutefois, le réalisme me conduit à penser que les Pouvoirs Publics sont enclins à choisir la plus mauvaise des solutions consistant à étendre l’assujettissement des dividendes à cotisations sociales à tous les gérants majoritaires de SARL.
Il ne reste qu’à espérer que le RSI saura prendre la bonne décision.
CONTACT
Factorielles
Bruno CHRETIEN, dirigeant de Factorielles
Tel : 04 72 91 54 20
Mail : [email protected]
Site Internet : http://www.factorielles.com/
La clairvoyance, l'expertise et la rigueur de l'article sont une fois de plus remarquables dans cet article de Factorielles. A l'heure où la recherche des simplifications administratives est de rigueur, je pense par exemple au statut d'auto entrepreneur, les pouvoirs publics ne manquent pas de se prendre une fois de plus « les pieds dans le tapis ». Espérons, que parmi ceux qui nous gouvernent quelqu’un puisse un jour faire preuve de bon sens pour le salut de tous.
En tout cas, merci Bruno pour cet éclairage convainquant.
Rédigé par : Vincent FOURQUET | 12 fév 2009 à 09:19
Article très interessant. Je n'ai pas bien compris la proposition de modification nde l'article 22 ==> une simulation serait nécessaire pour comprendre les enjeux
Francis GIULIARDI (expert-comptable)
Rédigé par : Francis GIULIARDI | 19 fév 2009 à 10:37