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La société PRECEPTA, filiale du Groupe XERFI, leader français des études sectorielles, vient d’achever son nouveau rapport d’observation de la Profession Comptable Libérale. Une étude pointue intitulée : Les cabinets d'audit et d'expertise comptable : Passer du statut de prestataire de service à celui d’entreprise de services.
Ludovic MELOT, directeur d’études chez PRECEPTA, dévoile en exclusivité pour Espace Innovation le contexte de ses recherches et les grandes tendances de cette étude, actuellement disponible à la vente. Une information très utile pour décrypter l’évolution de votre profession.
Espace Innovation : En quelques mots et comme l’an passé, pouvez-vous nous présenter votre société ?
L.MELOT : La société PRECEPTA est la filiale du groupe Xerfi dédiée aux études stratégiques et concurrentielles. La vocation de Precepta est d’apporter aux dirigeants d’entreprises des analyses stimulantes sur leur métier et leur environnement, dans le but de les aider à élaborer leurs décisions. Les études de Precepta sont réalisées à sa seule initiative, ce qui assure aux analystes une totale indépendance et leur offre une grande liberté de ton.
Espace Innovation : Quelles ont été les modalités de réalisation de cette étude ?
L.MELOT : Les informations présentées dans l’étude sont issues de plusieurs types de sources :
- des bases de données internes : le groupe Xerfi réalise chaque année plus de 500 études sur les différents secteurs de l’économie. Cette connaissance fine des secteurs permet de donner une bonne vision de l’environnement des experts-comptables,
- les comptes des cabinets. L’évolution de l’activité et des marges de la profession repose sur des échantillons exclusifs construits à partir des comptes déposés auprès des greffes des tribunaux de commerce,
- La presse professionnelle, la presse généraliste et les sites des opérateurs,
- Des entretiens en face-à-face avec des dirigeants de cabinets comptables...
Espace Innovation : Votre dernière édition est récente, elle date d’un an. L’étude 2009 est-elle une « simple mise à jour » ou le contexte des cabinets a –t-il vraiment évolué ?
L.MELOT : Il est naturellement impossible de parler de profonds bouleversements en quelques mois. Mais la profession comptable voit aujourd’hui les mutations de son environnement s’accélérer : modifications de la nature de la demande des clients, bouleversements réglementaires, évolutions démographiques (chez les clients mais aussi dans les cabinets, etc.
In fine, les cabinets évoluent dans un environnement extrêmement mouvant :
- effacement des frontières entre les différents métiers des prestations intellectuelles (auditeurs, experts-comptables, fiscalistes, avocats, consultants…),
- inflation réglementaire et durcissement des normes en matière d’audit et de comptabilité,
- montée en puissance de la concurrence des associations de gestion agréées, qui bénéficient d’un environnement réglementaire favorable,
- menaces sur le monopole des activités comptables, dans le cadre des projets de simplification des démarches administratives des entreprises,
- tensions sur les prix des prestations comptables standards,
- mutations de la nature de la demande des entreprises, qui veulent des prestations globales, tout en conservant une relation de proximité…
Dans ce contexte, les professionnels du chiffre sont confrontés à d’importants défis stratégiques. Des défis qui concernent déjà les acteurs d’une certaine envergure et qui s’imposeront inéluctablement à la grande majorité des acteurs au cours des années à venir :
- soigner son positionnement : un positionnement qui devient moins évident pour les clients au fur et à mesure que les missions des experts-comptables s’étendent,
- développer et formaliser son offre de conseil, afin de mieux la facturer. Cette thématique n’est pas nouvelle, mais va s’imposer comme un important facteur clef de succès pour les cabinets,
- cultiver son attractivité. Alors que c’est clairement la qualité des équipes qui fera la différence dans les prochaines années, les métiers du chiffre demeurent globalement mal perçus par les jeunes diplômés,
- se forger une image et une identité fortes. L’image est un important facteur de différenciation et, in fine, une source significative d’avantage concurrentiel.
Espace Innovation : La majorité de nos lecteurs ont une connaissance « ancienne » de la profession et sont habitués aux prévisions alarmistes de certains consultants ; malgré tout la profession ne se porte pas si mal, qu’en dîtes-vous ?
L.MELOT : La croissance du chiffre d’affaires des cabinets comptable ralentira encore au cours de la saison 2008-2009. Elle tombera alors à son plus bas niveau des 10 dernières années. Cela dit, ces chiffres bruts, qui traduisent en grande partie les conséquences de la crise que traverse l’économie française, masquent des réalités contrastées. Car si la crise a naturellement un impact sur le niveau de l’activité, la profession conserve en effet de solides moteurs de résistance. A condition naturellement de savoir s’adapter aux évolutions de la demande des clients…
Autrement dit, la profession n’est pas en crise ; elle est en phase de mutation. Et ses difficultés sont plus du côté de l’offre que du côté de la demande…
Espace Innovation : Que représentent les concentrations de cabinets ? Voyez-vous une évolution de la taille moyenne des cabinets ?
L.MELOT : Plus que la concentration proprement dite, c’est certainement la multiplication et la forte croissance des réseaux de cabinets indépendants (avec des structures de profil similaire, mais dans une autre zone géographique. Ou alors avec des structures proposant des prestations connexes, afin de disposer d’une offre plus globale) qui est le phénomène le plus marquant de ces dernières années. Ces réseaux, qui permettent de disposer d’une offre globale, tout en répondant à la très forte exigence de proximité des clients, connaissent une croissance forte : les 17 premiers réseaux et groupements de cabinets ont ainsi affiché une croissance cumulée de plus de 8% au cours de la saison 2007-2008, alors que celle des leaders s’est limitée à 4,6%.
Espace Innovation : Quel impact l’ouverture à la communication va-t-elle avoir sur la profession ?
L.MELOT : La profession comptable s’achemine inéluctablement vers une logique de marché. Et les cabinets n’auront pas le choix : ils devront impérativement se battre avec des outils qui relèvent d’une logique de marché (à ce propos, il faudra bien que les professionnels du chiffre se défassent de l’idée que la gestion selon une logique de marché est incompatible avec la qualité des prestations proposées). Autrement dit, les cabinets vont impérativement devoir mettre au point et suivre une véritable stratégie en matière : de positionnement, de marketing, de packaging de l’offre, de méthodes de management, d’outils de gestion des ressources humaines, de dispositifs de gestion de la relation clients…et naturellement de communication.
Cela dit, la communication ne doit être que la dernière étape d’un long processus de réflexion. La communication (la communication corporate, mais également (surtout ?) la communication des collaborateurs. Ces derniers sont en effet les premiers vecteurs de la communication des entreprises. Ce sont eux qui vont porter les valeurs du cabinet chez les clients et vis-à-vis des futurs collaborateurs) doit en effet impérativement reposer sur une identité forte (« qu’est-ce qui me différencie réellement de mes concurrents ? »), afin de transmettre à l’extérieur une image de l’entreprise qui soit fidèle à la réalité. Pour être efficace, la communication doit en effet traduire de façon fidèle les valeurs et les spécificités du cabinet. Dans le cas contraire, elle sera considérée, à juste titre, comme un simple vernis marketing. Et le vernis ne dure qu’un temps. Un temps assez court en général…
Espace Innovation : Dans tous les secteurs confondus, on sait que les « jeunes » ont besoin, bien avant la rémunération, de reconnaissance dans leur travail et d’une vision dans le projet de l’entreprise. Les publicités récentes de l’Ordre ont donné une image dynamique de la profession, mais les cabinets ont-ils les moyens d’offrir un vrai plan de carrière à la nouvelle génération ?
L.MELOT : Ils devront bien s’en donner les moyens dans la mesure où les tensions sur les ressources ne cessent de se renforcer (la crise va certes provoquer une flambée du taux de chômage et les cadres ne seront pas épargnés par le phénomène. Cela dit, compte tenu de la pyramide des âges de cette catégorie de la population, la tendance structurelle pour les années à venir est plutôt à un rapport de force favorable aux candidats au cours des années à venir). Mais, alors qu’il apparaît très clairement que c’est la qualité des équipes qui va désormais faire la différence entre les cabinets, les professionnels du chiffre doivent faire face à un écueil important : ils demeurent globalement mal perçus par les jeunes diplômés (métiers répétitifs et peu gratifiants, charge de travail importante…). Ce qui est fort dommageable dans la mesure où ces jeunes diplômés constituent justement l’essentiel des recrutements des cabinets d’audit et d’expertise comptable.
Dans ces conditions, l’attractivité est certainement l’un des principaux défis stratégiques de la profession. Nombre de cabinets ont d’ailleurs déjà pris ce problème à bras le corps. Leurs armes : une politique salariale attractive, mais aussi (surtout ?) la mise en place de nouveaux outils de gestion des ressources humaines :
- une politique de formation intensive,
- des perspectives de carrières mieux balisées,
- des possibilités de carrières internationales,
- des méthodes de management adaptées aux attentes des jeunes générations (les jeunes diplômés (la fameuse génération Y) ont en effet des attentes réellement différentes de celles de leurs aînés, ce qui impose aux cabinets de revoir leurs méthodes de recrutement et de management),
- la prise en compte des aspirations individuelles des collaborateurs (temps de travail aménagé, projets caritatifs…), etc.
Espace Innovation : Les « petits » cabinets non spécialisés auront du mal à répondre à la demande de conseil des entreprises. Pensez-vous que l’appartenance à un réseau peut constituer une solution ? Et au-delà, imaginez-vous l’apparition de labels ou de franchises de cabinets ?
L.MELOT : En fait, je ne vois pas tellement d’autre solution pour les petits cabinets qui souhaitent développer une offre plus large, notamment en matière de conseil et d’accompagnement des entreprises. D’autant que si les chefs d’entreprise veulent des prestations de plus en plus étoffées, ils restent plus que jamais demandeurs de proximité avec leurs prestataires. La solution des réseaux permet de répondre de façon très efficace à ces deux demandes antinomiques.
Et pourquoi pas à terme le développement de franchises…
Espace Innovation : Pensez-vous que certains cabinets vont adopter une stratégie low cost ?
L.MELOT : Il faut bien s’entendre sur les termes. Le low cost est une stratégie de différenciation fondée sur les coûts et sur une dépréciation de l’offre ; le tout permettant aux opérateurs de se distinguer de l’environnement concurrentiel. Le low cost n’est donc pas uniquement une stratégie de domination par les coûts (que l’on pourrait plutôt qualifier de low fare). Le low cost remet en effet en cause la chaîne de valeur traditionnelle d’une activité et impose de fait un nouveau modèle économique ; ce qui n’est pas le cas du low fare, qui consiste « uniquement » à chercher à produire moins cher, mais sans remettre en cause le modèle économique et sans déprécier la valeur de la prestation.
Pour répondre précisément à votre question, une stratégie low fare est possible en matière d’expertise comptable. Elle est d’ailleurs de plus en plus répandue (centres de services, délocalisation de certaines tâches…). Mais une véritable stratégie low cost semble plus délicate à mettre en œuvre. Elle supposerait en effet une réelle dépréciation de la qualité des prestations. Ce qui semble difficilement acceptable pour les cabinets ; et encore moins par les clients…
Espace Innovation : Quel avenir ou quel signe distinctif pour un cabinet médian ou traditionnel qui verrait s’envoler des missions sur lesquelles il ne serait pas assez compétitif ou spécialisé (social, patrimonial, etc…) ?
L.MELOT : Assurément un avenir sombre ! Gagner sa vie correctement en se cantonnant aux missions comptables traditionnelles va devenir de plus en plus complexe…
Espace Innovation : Vous dîtes que la formalisation et la vente du conseil s’impose désormais comme une évidence ; mais cette activité est-elle vraiment rentable et le client est-il prêt à la payer ?
L.MELOT : Les TPE ont certes peu de moyens. Cela dit, le client est prêt à payer si on lui démontre la valeur des prestations qu’on lui apporte. Dans ces conditions, la formalisation de l’offre est clairement une étape indispensable ; mais une étape qui ne dispensera pas les cabinets d’un important travail de pédagogie auprès des clients afin de les convaincre de la valeur ajoutée de ces prestations et accroître ainsi leur disposition à payer pour de tels services (une démarche d’autant plus difficile que nombre de cabinets ont tendance à rendre certains de ces services gratuitement depuis de nombreuses années. Les experts-comptables ont en effet la culture du conseil ; ils sont en revanche loin d’avoir celle de la vente de conseil). Difficile en en effet de faire payer les clients s’ils ignorent tout de l’offre des cabinets. Après avoir longtemps privilégié le « savoir-faire », les cabinets vont devoir passer au « faire-savoir ». Sans ce travail de pédagogie, les cabinets pourraient être violemment confrontés à ce que M. Ralph Hababou appelait dans vos colonnes le « syndrome de l’éboueur ». Un éboueur dont on ne s’aperçoit de la valeur ajoutée que lorsqu’il s’arrête de travailler…
Espace Innovation : Il est difficile de faire des projections à long terme, mais compte tenu des mutations en cours, peut-on tracer un portrait de la profession dans une décennie, voire au-delà ?
L.MELOT : Bien malin qui pourrait répondre à cette question. Une chose est sûre, l’environnement de la profession évolue de plus en plus rapidement. En un mot, la profession glisse inéluctablement vers une logique de marché. Ce qui, comme je le disais précédemment, va obliger les cabinets à se battre avec des outils qui relèvent d’une logique de marché.
Autrement dit, et pour faire court, les cabinets comptables vont rapidement devoir passer au cours des années à venir d’un statut de prestataire de services à celui d’entreprise de services. Certains opérateurs ont déjà largement amorcé ce virage, mais ils sont toutefois encore loin de représenter la majorité.
Quant à dresser un portrait de la profession à 10 ans, cela dépasse largement mes compétences…
Espace Innovation ; Ludovic MELOT, merci.
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Comment se procurer cette étude ?
En prenant contact avec Ludovic MELOT, coordonnées : [email protected]
Bonjour
Très bonne présentation de la profession comptable libérale.
Par contre, je ne vois pas comment il peut y avoir une incompatibilité entre un stratégie Low cost et bonne qualité des prestations comptables. Car, déontologiquement les experts comptables sont tenus de respecter des normes précises concernant la qualité. En plus, des prestations low cost sont possible avec les délocalisations ou les NTIC.
Cdt
abdeslam EL BAGHLI
Rédigé par : abdeslam EL BAGHLI | 31 jan 2010 à 18:35