Version imprimable | Recommander cet article
On y vient chercher le produit d’entretien qui nettoiera une tâche que l’on croyait ineffaçable, l’insecticide qui résoudra tous nos problèmes, le panier qui nous aidera à rapporter nos courses, une peinture, une lasure, un enduit, un vernis, une poubelle, un étendage… un inventaire à la Prévert qui se termine par des savons et des senteurs exotiques.
Impossible d’imaginer, il y a encore 30 ans, un quartier commerçant de centre ville sans sa fameuse droguerie-quincaillerie.
Aujourd’hui, les drogueries-quincailleries sont des commerces en voie d’extinction ; c’est pourtant ici qu’étaient rassemblés les produits les plus divers, avec les conseils gratuits toujours utiles du commerçant… ce dernier avait souvent réponse à tout !
La réponse ne se trouve certainement pas au niveau de la demande et d’une baisse de celle-ci.
Ce sont précisément 7 marchés dont les taux de progression ont été parmi les plus forts depuis ces 20 dernières années (à l’exception des nouvelles technologies). Les dépenses d’amélioration de l’habitat et du bricolage, faites par les ménages représentent plus de 50 milliards d’euros, soit plus que les achats d’automobiles neuves.
En fait, les raisons de ce déclin s’expliquent précisément par une mauvaise formalisation de l’offre, en décalage croissant avec l’évolution de sa clientèle. Voici quelques explications :
- L’évolution des besoins des clients
Avec le boom du bricolage, du jardinage et de la décoration, les besoins des clients ont évolué. Dans chacun de ces domaines, les offres des « drogueries-quincailleries » sont restées trop «généralistes », pas assez complètes, ni assez pointues. On y trouve de tout, mais chaque rayon est en fait assez limité. Les clients préfèrent se rapprocher d’enseignes spécialisées dans chacun de leur domaine.
- Un manque de valeur ajoutée
- Une concurrence accrue et organisée
- Une proximité géographique en déclin
L’analyse du marché des droguistes-quincailleurs rappelle quelques traits caractéristiques de la Profession Comptable Libérale. Certains lecteurs s’amuseront de cette analogie, alors que d’autres trouveront la comparaison un peu provocatrice. Mais quelle que soit la façon dont on la reçoit, elle nous rappelle que dans beaucoup de marchés, les difficultés d’une profession ne sont pas forcément dues à une crise de « la demande » mais plutôt à un mauvais positionnement des acteurs en place.
Pas besoin d’être fin stratège pour le comprendre. Il suffit pour un expert-comptable de regarder comment évoluent les marchés de ses propres clients :
- L’hôtellerie traditionnelle a quasiment disparu au profit de nouveaux acteurs parfois indépendants, souvent labellisés (affaire, famille, premier prix, charme, luxe, tourisme, rural, etc.),
- Le commerce de sport de détail a été éclaté sous forme de grandes surfaces (Décathlon, Sport 2000, Go Sport) ou de magasins hyper spécialisés (plongée, running, vtt, etc.),
- Les cliniques se regroupent pour investir et se spécialisent, les cinémas indépendants disparaissent ou proposent une offre thématique, les libraires visent des lecteurs érudits amateurs d'ouvrages rares,…
- …et le commerce de détail s’organise sous forme de franchise… difficile aujourd’hui de se lancer comme opticien indépendant à moins de viser une clientèle haut de gamme et d’avoir une spécialité d’optométriste.
Toutes ces entreprises ont été obligées d’adopter une stratégie de « base » (volume-prix – service – spécialisation technique ou sectorielle – niche) au détriment d’un positionnement médian : être TOUT pour TOUT LE MONDE.
L’expert-comptable aime se comparer au médecin généraliste. C’est une belle métaphore, mais il conviendrait de la compléter en précisant que les médecins spécialistes sont plus nombreux que les généralistes dans la plupart des pays de l’OCDE !
Le nombre de médecins a augmenté de 35 % dans les pays de l’OCDE au cours des quinze dernières années, passant à 2.8 millions. Dans la majorité de ces pays, cette progression est imputable dans une large mesure à l’augmentation de l’effectif des spécialistes, qui a été proche de 55 % entre 1990 et 2005, contre seulement 15 % pour celle du nombre de généralistes…
En 1986, Michael Porter, professeur de stratégie d'entreprise de l'université de Harvard, écrivait « L'Avantage concurrentiel ». Voici un extrait de cet ouvrage, qui n’a pas pris une ride, et qui illustre bien la situation des droguistes-quincailleurs décrites précédemment :
Une entreprise enlisée dans la voie médiane n’obtiendra des profits intéressants que si la structure de son secteur est très favorable, si elle a la chance que ses concurrents soient dans la même situation ou si le secteur est protégé et réglementé. En général, ce type d’entreprise sera beaucoup moins rentable que celles qui adoptent une stratégie de base. Le mûrissement d’un secteur a tendance à amplifier les différences de résultats entre les entreprises qui adoptent une stratégie de base et celles qui restent enlisées dans la voie médiane, parce qu’il met à jour les stratégies mal conçues que la récurrence avait soutenues."
Bien sûr la profession d’expertise comptable possède des particularités qui voudraient qu’elle se distingue de l’ensemble des secteurs d’activités visé ici ; à commencer par sa réglementation.
Mais dans les faits, la maturation des clients ne doit-elle pas pousser les cabinets à repenser leur offre de services ? Pour quelles raisons l’offre des cabinets resterait-elle stable alors que les demandes des clients évoluent, contraints par leur environnement ?
Chez RCA, notre position de prestataire et fournisseur des cabinets nous permet de constater chaque jour comment la profession évolue, et comment certains acteurs s’organisent. La formalisation de l’offre de services et la recherche de compétences associées font partie de leurs chantiers prioritaires au même titre que les gains de productivité ; alors que beaucoup de cabinets se concentrent uniquement sur ce dernier axe dont les impacts sur la rentabilité sont immédiatement mesurables.
Evidemment, ce travail de formalisation de l’offre est long et l’impact sur le terrain n’est pas encore vraiment perceptible. Mais attention à ce que nous appelons l’effet « d’alambic » qui consiste à ne regarder que le bout du tuyau sans imaginer le temps de distillation nécessaire à l’obtention du précieux liquide ! Quand l’offre « jaillira », il sera difficile de rattraper le retard, à moins d’adhérer à un groupement ou à un réseau ; on ne parle pas encore de franchise de cabinets, ni de label !
« Craindre la concurrence, c'est craindre l'activité économique. Or, l'expert-comptable est également un chef d'entreprise qui connaît déjà la concurrence et qui exerce une profession qui tend de plus en plus à se déréglementer. C'est pourquoi nous considérons que nous devrons passer d'un concept de profession réglementée à un concept d'activité réglementée. Dans ce contexte, la concurrence nous forcera à élargir nos compétences pour offrir une palette globale de services aussi large que possible et ainsi répondre à la demande de nos clients. »
Ces paroles sont celles de Pascal Levené, Président de l'Ordre des experts-comptables de Bretagne dans le Journal des Entreprises, datant du vendredi 4 Septembre dernier. Elles résument en 6 lignes ce que pensent depuis longtemps les fondateurs d’Espace Innovation (RCA – Factorielles – Avensi Consulting) :
Pour conclure sur la métaphore utilisée avec les droguistes-quincailleurs, il faut bien comprendre que leur disparition annoncée a mis près de 30 ans !... que ce déclin s’est fait sans heurts, même si chaque fermeture a procuré son lot de nostalgie… que la plupart des enseignes se sont repositionnées sous forme de franchise et que les clientèles « esseulées » ont fini par rejoindre d’autres enseignes.
Jérôme CLARYSSE
Président de RCA
[email protected]
Venez partager nos réflexions au sein de notre Club de prospective et d’innovation ; pour tout renseignement, prendre contact avec Monsieur Gauthier ROUSSEL, directeur général d’Espace Innovation au 06 89 06 03 84 ou par mail [email protected]
A "qui embrasse trop, mal étreint" je répond "comparaison n'est pas raison".
Un cabinet libéral de taille humaine s'adapte à l'évolution de la demande de son portefeuille de clients et non pas à une évolution générale ou mondialisée de la demande.
Je me sens proche d'un médecin mais pas d'un ancien quincailler comme vous.
Rédigé par : Bernard JOULIE | 24 sep 2009 à 09:23
Si la comparaison avec le quincailler généraliste - qui a complètement disparu - a pu choquer certains, préférant se comparer à un médecin généraliste ... il n'en demeure pas moins que cette profession réglementée connaît elle aussi des soucis.
Tout comme eux, les EC se sentent protégés par leur Ordre et les besoins en assistance auprès de leurs "clients" : les institutions (fiscales et sociales d'une part, la CPAM d'autre part) imposent effectivement une compétence technique intermédiaire ...
Mais aujourd'hui, ces institutions connaissent leur propre évolution et doivent réagir à leurs propres contraintes de "survie".
Notamment, afin de réduire le déficit de la Sécurité Sociale, certains projets en cours concernent la possibilité pour les patients de se faire prescrire directement par les pharmaciens certains médicaments ... SANS PASSER PAR UNE ORDONNANCE DES MEDECINS GENERALISTES.
Je pense qu'un grand nombre d'entre-eux vont donc devoir se spécialiser ou se déplacer dans un autre environnement ...
Rédigé par : Claude-Bernard LEMASLE | 24 sep 2009 à 12:42
Cette allégorie du droguiste me convient personnellement bien. Comme très souvent, votre analyse est juste. En plus de 40 ans de vie en cabinet (de "grouillot" sur OBBO à EC co-dirigeant d'un cabinet régional important), j'ai pu mesurer l'évolution de la demande et surtout de l'exigence de nos partenaires-clients, ainsi que la perte progressive de notre aura professionnelle au profit de nouveaux intervenants non-inscrits à l'Ordre, l'envol de nos meilleurs éléments vers les entreprises qui souvent les payent mieux et les "stressent" moins, l'écrasement de nos marges et j'en oublie sans doute. Il est plus que temps de nous regarder en face, exactement comme le font nos clients, pour voir qu'il nous faut presque tout changer dans notre façon de procéder. Nous n'avons pas été formés à la négociation commerciale et donc à la satisfaction du besoin réel : nous étions les meilleurs et de surcroît protégés ! Tout à une fin en ce bas monde, et le vortex qui porte en germe notre disparition dans notre conception passéiste du métier, tend à s'accélérer dangereusement. Mais le réflex de survie bloque nos comportement, ou l'oriente sur des voies qui ne sont pas porteuses de résultats probants. Le "nez dans le guidon" nous ne voyons plus assez nettement les portes de l'avenir. Il faut sans aucun doute nous faire assister pour la mutation qui n'attend plus, par des conseillers extérieurs, où nous rapprocher de structures ayant déja fait le pas nécessaire. Ou alors nous disparaîtrons comme le droguiste de la fable.
Rédigé par : ROGNON Alain | 28 sep 2009 à 11:27